Les banques et le développement durable : un partenariat possible ?

Les banques et le développement durable : un partenariat possible ?

juillet 17, 2018 Non Par Benjamin

Le contexte mondial est porteur de nouveaux enjeux qui forgent un rapport particulier entre les institutions bancaires et les questions de durabilité et de responsabilité. La crise économique qui explose en 2008 fragilise le paradigme capitaliste. La consommation, la production et l’investissement sont affectés. Sur la période 2008-2015, le pouvoir d’achat des ménages français baisse en moyenne de 1630 euros, soit 230 euros par an. Les banques renforcent les conditions d’accès aux prêts et le déficit budgétaire devient la variable décisionnelle principale d’un grand nombre d’Etats. La France peine à assurer sa compétitivité au même titre que d’autres grandes puissances. Les retombées sont nombreuses au niveau social avec un chômage de masse et une jeunesse découragée qui peine à se lancer dans la vie active. L’OCDE souligne qu’avec « un nombre grandissant de personnes sans expérience professionnelle récente, dont les compétences se dévalorisent et que les employeurs sont réticents à embaucher, les rangs des demandeurs d’emploi découragés ne cessent de grossir ». La planète souffre elle aussi des activités polluantes de l’Homme et l’existence d’une crise environnementale s’impose aujourd’hui comme une évidence. Le CESE note que « près de dix ans après l’entrée en vigueur du protocole de Kyoto qui visait à réduire les émissions de gaz à effet de serre, la question n’est plus d’établir si le réchauffement de la Terre va se produire, mais bien de savoir comment l’endiguer ». La communauté scientifique s’alarme chaque jour de la dégradation de l’environnement et de ses conséquences. Ces crises mettent en lumière un besoin véritable d’un nouveau modèle de croissance basé sur la durabilité, la responsabilité et le respect de la nature.

Bank building, 3D images

Le développement durable va dans ce sens en encourageant notamment la responsabilisation des entreprises. Il s’agit de contraintes, via des lois et des directives que peuvent mettre en place les Etats, mais aussi d’opportunités pour les entreprises. Un certain nombre de travaux démontre effectivement « qu’en général, une politique environnementale et sociale solide est gage de performance, et qu’à contrario les défaillances sont très préjudiciables ». Elle permet d’augmenter son attractivité en sensibilisant les collaborateurs en développement durable, d’augmenter son chiffre d’affaires en répondant à la demande sociale de produits « verts », de réduire les coûts et les risques en limitant la facture de mise en conformité et enfin de repenser son business model en vue des inévitables évolutions du marché. Dans un même temps, les institutions bancaires vivent une révolution post-crise. Le regain de légitimité du secteur passe, elles l’ont compris, par un assainissement de la place financière. Les banques appuient des engagements RSE, forment davantage leurs employés à la relation client et cherchent à reconstruire leur image. Dans son Observatoire 2014, la Fédération Bancaire Française note d’ailleurs que l’image des banques, tombée à 57% d’opinions favorables en 2008 puis à 52% en 2010, connaît un regain pour atteindre 64% en 2014. Ce contexte mène à penser que le secteur bancaire s’insère progressivement dans un schéma d’intégration du développement durable en tant que bailleur de fonds de l’économie.

La RSE bancaire comme facteur de durabilité

Le secteur bancaire se pose en élément de réponse aux problématiques du développement durable. Cette réalité est avant tout macroéconomique, puisque sur le seul enjeu que représente la transition verte, selon une étude de l’Agence international de l’Energie, « il faudrait investir plus de 25000 milliards de dollars d’ici 2035 dans les énergies renouvelables et les technologies bas-carbone pour limiter la concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère » [vii]. La mise en œuvre de cette révolution industrielle nécessite à l’évidence la collaboration bienveillante des institutions bancaires. Celles-ci peuvent d’abord apporter une contribution au développement durable par le biais d’initiatives internes. Elles concernent les opérations dites de structure, peu liées à l’activité bancaire : on parle alors d’impacts

directs. S’il s’agit d’un secteur a priori peu gourmand en polluants, le secteur bancaire et ses « data centers » (les centres qui hébergent les données bancaires et consomment de grandes quantités d’énergie) doivent toutefois veiller à la réduction des impacts environnementaux. La consommation de papier, ou encore celle des politiques de transport participent de ce raisonnement. N’est pas en reste le volet social puisque les banques emploient 367000 personnes en France, ce qui les oblige à une prise en considération des problématiques de diversité, de conditions de travail ou d’handicap. Les rapports RSE indiquent aussi une réponse aux nouvelles exigences de transparence et de gouvernance. Les banques, dans l’obligation d’être en conformité avec les bonnes pratiques des marchés et les recommandations des autorités boursières sont amenées à renforcer leur politique RSE dans ce sens. Toutefois, là où les banques ont une véritable responsabilité, c’est au regard des impacts liés à leurs financements. En tant que bailleurs de fonds d’une économie très carbonée, les banques engendrent des impacts indirects importants.

Le métier de banque de détail peut aller dans le sens du développement durable via les crédits verts permettant d’aider les ménages à financer des équipements domestiques liés aux économies d’énergie. L’épargne verte va également dans cette direction. Via le conseil et l’inclusion financière, les banques de détail forment les clients au désendettement et à l’autodiagnostic social et environnemental. Le microcrédit permet d’aider les clients économiquement fragiles à lancer des projets professionnels ou d’acquisition. Le métier de banque de financement et d’investissement, dit BFI, appuie l’économie locale en choisissant de soutenir les TPE et PME en expansion. Les BFI peuvent aussi, via les financements verts, permettre la construction d’infrastructures éoliennes ou photovoltaïques, plus respectueuses de l’environnement. On peut aussi évoquer la naissance des marchés de quotas d’émissions de gaz à effet de serre permettant aux institutions bancaires de servir d’intermédiaires et offrir des solutions aux industriels afin de réduire leurs consommations. Enfin, les fonds d’Investissement Socialement Responsable (ISR) connaissent une croissance régulière depuis une quinzaine d’années et vont dans le sens d’un assainissement du comportement des gestionnaires d’actifs. Les banques prennent conscience, en partie par la force des choses, que leur rôle de financeurs de l’économie les oblige à une responsabilité bien particulière.

Des marges de progrès encore colossales

Les limites, toutefois, de ce constat sont tout aussi indéniables. La communication dite responsable semble encore à ses balbutiements. Peu de banques reportent crédiblement l’information sur les risques environnementaux liés aux financements de structure, les émissions induites ou les financements d’énergies renouvelables. Il existe un manque de volonté du secteur d’aller au-delà du déclaratif et de communiquer sur les informations sensibles. Les questions d’écarts de rémunération et des politiques de rémunération variable sont peu abordées, au même titre que la présence dans les paradis fiscaux. Les Principes Equateur sont également très critiquables. Ces principes sont censés encadrer les financements de projets dans le secteur bancaire et en les suivant, les banques s’engagent à procéder à une analyse des impacts environnementaux et sociaux de leurs financements supérieurs à 10 millions d’euros. Seulement, « c’est à l’emprunteur – paradoxalement- qu’il appartient de réaliser une étude d’impacts afin de catégoriser son projet. C’est aussi lui qui doit mettre en place des actions correctives ou d’atténuation des impacts sociaux et environnementaux. Enfin, c’est encore lui qui doit s’assurer du suivi de ces procédures par un tiers indépendant » [viii]. Non contraignants, ces exemples du soft law peinent à pousser les organismes de crédit à aller au-delà de la communication et du discours.

Les controverses mettant en scène les institutions bancaires sont également encore nombreuses. Les trois grandes banques françaises que sont BNP Paribas, Société Générale et Crédit Agricole-LCL sont toutes impliquées dans des scandales allant à l’encontre des principes fondateurs du développement durable. BNP est épinglée par les Amis de la Terre en 2013, arrivant en deuxième place aux Prix Pinocchio décernés aux entreprises les plus mensongères. L’ONG leur reproche d’être « hautement impliquée dans le financement de l’industrie la plus polluante qui soit, celle du charbon, à laquelle elle a apporté plus de 10 milliards d’euros depuis 2005 » [ix]. Le groupe aurait émis plus de 200 millions de tonnes d’équivalent C02 en huit ans et ne financerait les énergies renouvelables qu’à hauteur de 10% de ses investissements. En 2014, l’ONG, reconnue par ailleurs pour son sérieux en matière d’analyse environnementale, reproche aussi au Crédit Agricole de financer la destruction des Appalaches, aux Etats-Unis, en faisant exploser les blocs poreux pour en extraire le charbon. Paul Corbit Brown, de l’association Keeper of the Mountains, témoigna à la dernière AG de la banque française en mai 2014 en leur reprochant qu’ « en soutenant notamment Arch Coal et Alpha Natural Ressources, qui comptent dans le top trois des entreprises minières actives dans le MTR, le Crédit Agricole participe à la destruction de l’une des plus belles chaînes de montagnes au monde » [x]. Ces controverses fragilisent fortement la crédibilité des politiques de responsabilisation des banques et démontrent le chemin à parcourir pour qu’elles saisissent réellement le rôle qu’elles peuvent et doivent jouer.

L’heure n’est pas au pessimisme. La RSE irrigue plus que jamais les considérations des grands groupes et les investisseurs deviennent de plus en plus exigeants en termes de transparence et d’intégrité. Peu à peu, les institutions bancaires opérationnalisent leurs démarches et sont soumises à des obligations plus strictes. Il n’est pas utopique d’espérer un changement systémique à conditions que les banques effectuent de véritables conduites du changement en interne. Les banques ont une grande responsabilité et l’avenir dépend certainement en partie de leur capacité à l’assumer